Éternelle social-démocratie ! Ce qui ne laisse pas de frapper à la lecture de cet ouvrage, c’est non seulement l’actualité de la critique de Domela Nieuwenhuis, mais cette image qu’elle révèle d’une social-démocratie toujours identique à elle-même, sortie tout armée idéologiquement de la tête de ses chefs historiques pour remplir sa fonction contre-révolutionnaire, si bien qu’il ne sera ajouté que très peu au fil des ans et des événements à ce qui aura été dit à l’âge de la fondation. Ce « cadavre » dont Rosa Luxemburg et surtout Lénine ne cesseront de prédire l’imminence de la complète décomposition n’a pas seulement conservé une vitalité exceptionnelle. Le S.P.D. était dès l’origine ce que ses critiques de gauche lui reprocheront d’être devenu et il n’a cessé un instant de remplir sa fonction sociale avec une efficacité sans défaut. Mieux encore, il a, en outre, servi de modèle à toutes les organisations qui se sont efforcées de prendre sa place et d’organiser la classe ouvrière sur la base de principes plus radicaux. Cette identité de structure que révèle, par exemple, la comparaison entre la social-démocratie allemande et le parti communiste découle de l’identité de fonction que ces organisations sont appelées à occuper dans la société capitaliste, rouages entraînés par un déterminisme qui s’est toujours montré plus puissant que les meilleures intentions des chefs et des militants et que la force de persuasion de l’idéologie. Il n’existe pas une infinité de manières d’organiser la classe ouvrière dans le cadre des rapports de production capitalistes ; de là vient cette faculté d’adaptation de la social-démocratie capable de préserver la puissance de son appareil à travers toutes les épreuves et de renaître à chaque fois de ses cendres dans la mesure où elle remplit un rôle indispensable au bon fonctionnement du système. Les partis communiste et social-démocrate sont restés, en dépit de toutes les critiques qui leur ont été adressées et de toutes les attaques qu’ils ont subies, les deux seules forces capables d’organiser la classe ouvrière et de la discipliner en vue d’assurer la survie du rapport capital-travail ; mais c’est la social-démocratie allemande qui, en raison d’une priorité historique d’ordre chronologique, a été en quelque sorte le creuset d’où est sortie l’autre forme de domination et de contrainte qui lui disputa bientôt les suffrages de la classe ouvrière [1].
Dans l’historiographie traditionnelle du mouvement communiste, la « trahison » de la social-démocratie se limiterait à l’« abandon » en 1914 du programme révolutionnaire qui aurait été auparavant le sien en dépit de la politique réformiste menée par ses chefs. D’où l’effarement d’un Lénine, par exemple, apprenant le vote des crédits de guerre et l’effort démesuré que durent accomplir des militants tels que Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et d’autres pour se détacher du parti et s’orienter vers la recherche de formes de luttes mieux adaptées aux besoins de la lutte révolutionnaire que celles depuis si longtemps reconnues comme seules efficaces.
Le livre de Domela Nieuwenhuis jette une lumière éclatante sur un fait que le mythe de la « trahison » de 1914 a servi à cacher : que cet événement ne représente en quelque sorte que l’aspect le plus marquant, la manifestation la plus visible d’un phénomène nullement accidentel mais, bien au contraire, inhérent au développement même de la social-démocratie : la bureaucratisation organique de l’appareil et l’adéquation rigoureuse entre son idéologie et sa pratique [2]. La notion de « trahison », de valeur explicative nulle, reflète l’aveuglement des militants les plus radicaux devant cette évolution et leur responsabilité dans cet état de choses puisque tous, à divers titres, contribuèrent à fortifier la puissance de l’appareil du parti en lui prêtant leur concours dans la lutte contre les « anarchistes » et tous ceux qui mettaient en garde contre les conséquences d’une telle situation. Car il y eut des individus qui, d’emblée, furent assez conscients pour comprendre la nature et la fonction du parti et des syndicats ouvriers et pour dénoncer les dangers que faisait courir à la classe ouvrière la présence de cette formidable force de discipline et d’encadrement cristallisée dans l’appareil du parti ; critique « plus profonde, plus radicale, plus concrète que celles formulée par les théoriciens de la gauche des années 1905 (Trotski, Pannekoek, Rosa Luxemburg, etc.), car faite d’ailleurs, d’un autre lieu, d’un autre temps, d’un lieu et d’un temps opposés à cette IIe Internationale et non à partir de ce lieu et de ce temps », comme le mentionne à juste titre Jean-Yves Bériou dans sa présentation (p. 17). Ce n’est donc pas à la suite d’un hypothétique changement d’orientation idéologique, en 1914 ou à tout autre moment, que la social-démocratie est devenue ce garant de l’ordre bourgeois remplissant au besoin des tâches contre-révolutionnaires ; elle s’est affirmée dès sa naissance en tant que telle, elle a été appelée au jour à cette fin et le marxisme a été dès le départ la sanction idéologique de cette pratique réformiste destinée à organiser de manière pacifique - et dans les conjonctures de crise sociale, par la violence - le rapport capital-travail. On conçoit que Lénine et les Bolcheviks, qui débordaient d’admiration pour la social-démocratie allemande et ses méthodes d’organisation et de lutte, aient éprouvé quelque gêne devant les résultats et aient été parmi les plus ardents à accréditer la thèse de la « trahison » : ils n’avaient pas à remettre en cause le passé et pouvaient justifier leur étroite dépendance tout en se proclamant fidèles héritiers de la tradition révolutionnaire abandonnée par des frères d’armes qu’un seul geste avait suffi pour transformer en sociaux-traîtres. Qu’en était-il en réalité de cette tradition que les théoriciens de la social-démocratie prétendaient tout entière enfermée dans un « marxisme orthodoxe » jalousement préservé par leurs soins des déformations « opportunistes » et pire encore « anarchistes » ? L’analyse que Domela Nieuwenhuis présente du discours politique des principaux chefs de la social-démocratie est à cet égard magistrale et ne laisse aucun doute sur la nature de leurs intentions, ouvertement proclamées, quant aux problèmes de la guerre et de la révolution sociale. Le patriotisme et le socialisme d’État, de même qu’une conscience très nette de la mission dont se déclare investie la bureaucratie ouvrière ont fait dès l’origine partie intégrante de la pensée des dirigeants du parti marxiste le mieux organisé et le plus discipliné de l’époque.
Partisan d’un socialisme libertaire, Domela Nieuwenhuis adresse à Marx des critiques qui n’ajoutent rien au débat engagé sur ce problème dans la mesure où elles font de Marx le défenseur d’un socialisme d’État qu’il a toujours combattu ; mais elles prouvent a contrario à quel point ce qui était au centre de son œuvre et de son combat - la lutte pour le communisme et la destruction des rapports sociaux existants grâce à l’activité spontanée des opprimés - était étranger aux préoccupations des épigones en dépit des querelles autour de « l’héritage » et des efforts pour fixer définitivement les canons de cette insaisissable orthodoxie marxiste. Les différentes tendances de l’École se retrouveront toutes unies pour condamner « l’anarchisme » et, sous le couvert de cette lutte, pour refouler tous les éléments éthiques et utopiques que contient l’œuvre de Marx. La mystique de l’organisation médiatrice et du Parti empêchera toute discussion tant sur le contenu de l’auto-émancipation ouvrière que sur le rapport entre spontanéité et organisation dans le cadre de la lutte de classes menée par un prolétariat ayant acquis une importance décisive dans la société. Ainsi, le marxisme n’a ni contenu ni finalité différents de ceux que lui donnera le mouvement historique qui a entraîné la formation des grandes organisations de masses comme mode d’encadrement et d’assujettissement de la classe ouvrière au sein du nouveau système de rapports sociaux créé par le capitalisme. Il n’est ni plus ni moins que la théorie en rapport avec cette pratique, ce qui implique l’évacuation de tous les éléments « anarchistes » qui, mis au jour par les courants les plus radicaux du mouvement dit utopique, passeront comme tels dans l’œuvre de Marx. Dans ces conditions, tous les efforts pour réintroduire cette dimension de la praxis révolutionnaire dans le corpus théorique marxiste seront fatalement voués à l’échec, puisque c’est précisément en s’opposant à ce noyau subversif que le marxisme s’est formé ; en témoigne le fait que tous les efforts déployés depuis maintenant plus d’un demi-siècle pour restaurer le contenu révolutionnaire du marxisme ont chaque fois abouti à restaurer le marxisme dans son rôle d’idéologie institutionnelle au service des bureaucraties ouvrières, l’œuvre de Marx retrouvant à chaque fois son statut d’œuvre autonome en dépit de toutes les tentatives de réduction dogmatique. De ce point de vue, l’espoir manifesté par Domela Nieuwenhuis de donner à la social-démocratie une orientation nouvelle en luttant contre le réformisme ne pouvait qu’être déçu et Domela Nieuwenhuis finira par chercher dans l’idéologie anarchiste cet esprit radical et cette pratique révolutionnaire combattus avec acharnement par la social-démocratie. Au demeurant, il est loin de limiter l’analyse des dangers qui menacent le socialisme à la critique de l’idéologie et de la politique de ses chefs ; c’est dans les fondements socio-économiques sur lesquels reposent l’appareil du parti que Domela Nieuwenhuis recherche la clef de cette orientation opportuniste. À la base de cet énorme édifice, partie immergée de l’iceberg, il aperçoit « des personnages salariés..., armée compacte d’individus vivant sur ou par le parti » (p. 102), base sociale bien distincte, selon lui, de l’ensemble du prolétariat, mais assez structurée et puissante pour infléchir la politique du parti et lui imprimer une direction « petite-bourgeoise ». Certes, la critique de Domela Nieuwenhuis présente des limites puisqu’il ne peut saisir qu’un aspect partiel de la situation et échoue à mettre en lumière le lien entre cette évolution et l’organisation du capitalisme ; et ses explications ne sont guère différentes de celles (aristocratie ouvrière, direction réformiste, représentante de la petite-bourgeoisie) que critique avec force et raison le présentateur comme étant « particulièrement inopérantes ». Est-ce à dire que les éclaircissements destinés à situer de manière purement « objective » l’œuvre et l’itinéraire spirituel de Domela Nieuwenhuis dans le cadre du mouvement révolutionnaire de l’époque épuisent toute sa pensée et le sens de son combat ? On trouve dans ces pages une interrogation sur l’individu et sur la finalité même du mouvement d’émancipation sociale qui renvoie à une dimension de l’activité humaine radicalement autre que celle qui permet de caractériser l’attitude du simple militant : quelle que soit l’idéologie qu’il professe, ce dernier est entièrement défini par son statut social et son activité politique et, de ce fait, ne peut qu’être totalement transparent aux yeux du critique disposant de tous les éléments pour tenter une investigation matérialiste rigoureuse et faire entrer chaque prise de position et chaque événement dans le cadre préétabli de sa construction théorique. Or, au-delà de sa critique de la social-démocratie et de ses préférences et références idéologiques, Domela Nieuwenhuis s’efforce de comprendre le sens de l’échec qu’il prévoit, et c’est cette inquiétude diffuse sur le sort du mouvement ouvrier qui donne une telle résonance et une telle actualité à son propos. En des termes qui ne sont pas sans rappeler ceux de Gustav Landauer, critiqué de manière aussi partiale qu’acerbe par J.-Y. Bériou, Domela Nieuwenhuis tourne et retourne la question qui l’obsède : « Quel système permet le plus d’expression de liberté et de spontanéité » à l’individu ; et il n’hésite pas à interroger la « nature humaine » quand il mesure les chances pour cet individu d’échapper à l’oppression qu’exerce sur lui la société (p. 77, 80, etc.). De même va-t-il plus loin que la mise en accusation de la social-démocratie quand il constate que « le peuple se prête encore trop souvent aux machinations du premier aventurier venu » (p. 50).
Pour Domela Nieuwenhuis, une conception purement mécaniste de l’évolution sociale ne peut aboutir, quel qu’en puisse être le radicalisme de façade, qu’à vider la lutte de classes de tout contenu actif et révolutionnaire comme en témoigne, dans le cas de la social-démocratie allemande, la surestimation par Engels et les chefs du parti des possibilités offertes par la politique électoraliste.
Or, c’est précisément une conception déterministe de cet ordre, encore que fondée sur des prémisses théoriques d’un radicalisme indiscutable, que le présentateur s’efforce de développer tant dans sa postface que dans son apparat critique, non sans abuser d’un langage sectaire propre à décourager toute discussion sur les problèmes soulevés. Il est certes intéressant de constater l’évidence - que le prolétariat européen, en 1914, « marcha droit, conformément à sa place dans les rapports de production (...) » (p. 25) ; encore convient-il de montrer que cette situation est faite aussi de l’échec et de la démission morale de la classe ouvrière et que ce problème de la vocation révolutionnaire et émancipatrice du prolétariat n’est jamais posé dans le cadre d’une interprétation de l’histoire qui subordonne automatiquement la prise de conscience révolutionnaire aux exigences du développement de l’économie capitaliste. Car le triomphe de cette nécessité historique qui se manifeste dans l’histoire du mouvement ouvrier comme une série de défaites, de crises et de capitulations ne révèle-t-il pas, en fait, l’incapacité dans laquelle se trouve la classe ouvrière de se constituer en classe et de remplir sa « mission historique » d’émancipation universelle ? En dépit des transformations structurelles du capitalisme, les causes de l’échec sont invariablement les mêmes tant il est vrai que rien n’a changé dans la nature du rapport de domination et de servitude qui assujettit le travail au capital, comme nous l’apprend la lecture de ce livre. C’est à scruter les raisons de cette défaite permanente et à passer outre aux explications consolatrices quasi religieuses qu’offre le matérialisme dialectique que cette répétition nous oblige. L’énigme que Domela Nieuwenhuis s’efforçait de percer en son temps est la même que celle qui se pose à nous aujourd’hui et c’est en ce sens que sa réflexion peut nous aider à la résoudre puisqu’il a pressenti à travers l’attitude des masses et de leurs chefs ce qui devait advenir du mouvement ouvrier. Nul écho de cette grande et féconde inquiétude dans les commentaires de J.-Y. Bériou qui substitue aux arguments fondés sur l’analyse empirique d’une situation donnée des jugements valorisants et des pétitions de principes présentés comme des vérités sinon scientifiques du moins indiscutables. En réalité, sa théorie des cycles révolutionnaires et contre-révolutionnaires liés aux cycles d’expansion et de contraction du capital n’innove guère par rapport aux explications mécanistes de l’histoire utilisées par les théoriciens des différents courants de l’école marxiste pour réajuster périodiquement la théorie en tenant compte des démentis que le déroulement des événements et le comportement de la classe ouvrière lui infligent ; elle offre les mêmes possibilités de tout expliquer, les phénomènes les plus contradictoires étant ramenés à la même cause efficiente. C’est cette « plasticité fondamentale » (p. 7) de la théorie communiste qui permet au présentateur et à lui seul de définir ce qu’est ou n’est pas la révolution, cette fameuse « prise de conscience d’elle-même, et par elle-même, par son être et sa pratique sur le réel » (p. 7) se réduisant finalement, en l’absence de l’intervention du principal interlocuteur, le seul qui puisse le démentir, à la prise de conscience par J.-Y. Bériou et les autres théoriciens du mouvement communiste de leur capacité d’investigation théorique.
Ce « mouvement communiste » qui surgit et disparaît au gré des nécessités historiques du capitalisme et dont le contenu, l’ampleur et la finalité sont définis par le présentateur crée, d’une manière non moins automatique, les théories et l’organisation adaptées aux besoins de la nouvelle période révolutionnaire ; mais, paradoxalement, il ne devient transparent et intelligible que dans la tête de celui qui possède le secret de l’évolution historique, à savoir le détenteur de la théorie communiste dont les principaux éléments se trouvent naturellement chez Marx - miraculeusement préservé des limitations historiques qui frappent les autres penseurs, en dépit de toutes les critiques. En réalité, l’activité de ces théoriciens du « mouvement communiste » ne diffère en rien, sinon dans les prétentions, de l’activité de ceux qui se consacrent plus modestement et sans lui donner la dimension mondiale d’un Jugement dernier à l’« “assimilation” pédagogique et donc forcément ( ?) analphabète de livres sacrés (...) » ; en revanche, le lieu d’où parlent ces nouveaux détenteurs de la radicalité révolutionnaire n’est pas moins privilégié et unique que celui où se placent les autres incarnations de la conscience révolutionnaire, tous véritables interprètes de l’œuvre de Marx et seuls défenseurs authentiques du mouvement communiste, les dénégations prenant surtout valeur d’exorcismes parodiques. On le voit clairement quand l’auteur décerne blâmes et éloges au nom de sa propre compréhension du processus révolutionnaire, consacrant quelques lignes méprisantes à telles périodes de la vie de Gustav Landauer et en approuvant telle autre non moins arbitrairement. Nouveau deus ex machina de l’histoire, le « cycle révolutionnaire » ou « contre-révolutionnaire » condamne l’individu à n’être que ce pur produit des circonstances, poussé par les hasards de la naissance à obéir aux nécessités de la « révolution » ou de la « contre-révolution », sans que rien permette d’expliquer le pourquoi et le comment du choix qu’il n’en opère pas moins dans le cadre des conditions données. Il est ainsi privé de toute liberté de pensée, de toute autonomie d’action et de toute puissance de création anticipatrice, comme Domela Nieuwenhuis lui-même : le fait qu’il ait été un « grand bourgeois aisé » aurait déterminé, semble-t-il, sa critique du « caractère petit et moyen-bourgeois de la social-démocratie » (p. 21).
En fait, en dépit d’un langage sectaire agressivement dirigé contre toute forme d’« économisme » et de « sociologisme », il s’agit bien dans ces pages de donner une justification théorique nouvelle à cette « identification mystique du développement de l’économie capitaliste avec la révolution sociale de la classe ouvrière » (Korsch) qui fut l’essence même du « sociologisme » de la social-démocratie allemande. Et c’est précisément sur ce point que la pensée de Domela Nieuwenhuis offre l’ouverture la plus radicale et nous invite à une sérieuse réflexion tant sur la nature du mouvement révolutionnaire et les raisons de l’échec des efforts d’émancipation que sur le rôle de ces avant-gardes qui, selon lui, « doivent diriger la lutte des classes, organiser les masses et utiliser les grèves comme leur moyen de pouvoir politique, au lieu d’utiliser leurs forces dans la lutte politique » (p. 84).
Entre la vénération du fait accompli qui caractérise la social-démocratie allemande et la conception quasi léniniste exprimée dans ces lignes, où peut se situer l’action de l’individu révolutionnaire ? Certes pas dans l’invocation rituelle à un mouvement communiste mythique ni dans le fait de se comporter, malgré les précautions oratoires d’usage, en détenteur attitré de la « vérité » théorique. La voie ne serait-elle pas indiquée par des individus aux exigences multiples et contradictoires, mais qu’une même attitude de refus anime ? Peut-être est-elle faite aujourd’hui encore de ces « déviations humanistes à la Landauer » (p. 251), de « l’éducationnisme » à la Morris (ibid.) et de bien d’autres formes de ces « ismes » pour lesquels J.-Y. Bériou n’éprouve qu’un mépris condescendant ? Bref, peut-être n’est-elle pas concevable sans l’existence de tous les autres courants radicaux qui n’entrent pas dans ce mouvement communiste tel que le conçoit le présentateur ; peut-être est-ce là l’embryon d’un mouvement communiste en train de retrouver la dimension utopique et éthique qui était la sienne quand il était encore un mouvement pratique et théorique de subversion sociale, l’affirmation d’une autopraxis ouvrière et non la théorie de sectes qui dictent à l’histoire sa tâche et sa mission.
[1] C’est cette tendance « totalitaire » de la social-démocratie - l’enrégimentement de l’individu et la bureaucratisation du parti - que néglige J.-F. REVEL dans son livre, par ailleurs remarquable en tant que critique d’un autre modèle de société totalitaire, plus perfectionné que le précédent (La tentation totalitaire, Paris, 1976).
[2] G. SANDOZ souligne que « la grande masse de la classe ouvrière fit incontestablement corps avec les leaders » et que « parler dans ces conditions de “trahison” ne contribue donc pas à la compréhension des événements. Cette trahison-là se situait à tous les niveaux » (La Gauche allemande, Paris, 1970).