Si le marxisme n’est pas la pensée de Karl Marx, il n’en est pas non plus toujours la déformation ni la caricature. La littérature marxiste est riche en œuvres qui ont marqué une date dans la constitution d’une pensée sociale digne de ce nom. Ceci dit sans parler du marxisme qui n’ose pas dire son nom et qui forme cependant la substance de mainte œuvre dont la valeur de connaissance et de découverte est considérable.
C’est dire que l’apport de Marx à une science de la société n’a pas toujours été un prétexte à littérature purement idéologique. Marx a-t-il facilité la naissance des courants et écoles qui se réclament de son nom plutôt que de son œuvre ? Nous ne pensons pas qu’il ait voulu faire école et système : il devait trop à ses prédécesseurs et il le savait ; il ne s’est pas fait faute de le reconnaître. Et transformer le monde lui paraissait plus urgent que l’interpréter.
Ces Cahiers voudraient justement apporter certaines clartés sur la genèse du marxisme. Mais avant d’aborder ce problème, il importerait d’avoir fait le point sur la genèse de la pensée marxienne elle-même, tâche qu’aucune biographie intellectuelle n’a encore vraiment réalisée définitivement. Nous y contribuerons, pour notre part, en faisant connaître méthodiquement les travaux d’apprentissage que Marx s’est lui-même imposés en commençant à penser la société.
Parallèlement, nous faisons place à des textes mal connus, ou peu diffusés de l’école marxiste. Mis à part l’idéologie qui s’y faufile, ils aident à reconnaître les problèmes de notre monde et de notre temps. Car au delà des écrits de Marx eux-mêmes nous espérons retrouver dans la texture d’œuvres nouvelles le fil et la trame d’une pensée mise sur le métier social plusieurs décades auparavant. Le dessein en apparaît nettement prémonitoire. À nous d’y vérifier le sens profond de la crise, peut-être mortelle, que notre société traverse.
Il nous paraît utile de rappeler ce que nous disions dans le Liminaire du numéro 1 des présentes Études.
« ... Ces Cahiers proposent un essai de documentation sur l’œuvre de Marx et sur le marxisme : analyses critiques, études historiques, bibliographies, traductions d’inédits. Nous ferons œuvre d’érudition et d’analyse, sans reculer devant la critique, quand le sujet le réclamera - et les occasions n’en seront pas rares. Mais l’utilité de notre tentative se révèlera plus particulièrement dans la mesure où nous en ferons un inventaire des discussions importantes autour de l’ œuvre marxienne.
Le programme de ces Cahiers s’organise autour de trois ordres de recherches :
— 1. Connaissance de l’ œuvre de Marx ;
— 2. Analyse critique des commentaires ;
— 3. Documentation et Bibliographie.
Le premier de ces objectifs nous fait une obligation de faire connaître des textes de Marx peu connus ou non encore publiés en français. Le second, de donner en traduction des travaux consacrés à Marx à l’étranger, et dont la diffusion pourrait stimuler et réorienter la recherche et la réflexion en économie politique et en sociologie.
Le premier objectif nous paraît d’autant plus urgent que l’importance attribuée (à tort ou à raison) à cette pensée contraste étonnamment avec le fait qu’une édition intégrale des œuvres de Marx n’a pas encore été réalisée et que de nombreux textes de cet auteur n’ont pas encore été traduits en français.
Le deuxième objectif n’a pas besoin d’être précisé en détail ; le besoin de travaux d’analyse sérieux suffit à le justifier. Et nous n’hésiterons pas à fouiller dans la littérature ancienne, publiée à l’étranger, pour en faire connaître les contributions scientifiques qui méritent la peine d’une traduction.
Quant au troisième et dernier point de notre programme, son utilité est évidente à une époque où la production des imprimés est devenue un déluge. Inventorier, c’est préserver le loisir de celui qui veut lire et savoir.
De tels travaux devront leur réussite au souci de clarté, de précision et de compréhension qui animera le lecteur. Elle dépendra pour beaucoup des concours, des bonnes volontés et des collaborations qui nous viendront après les premiers contacts ».
Maximilien RUBEL.