Note Smolny :
Un essai bien écrit et décapant, qui se lit comme un roman. Il nous interroge, une fois de plus, sur notre responsabilité individuelle et notre volonté collective.
Et si la rotation des tâches existait vraiment, si la cuisinière prenait en main l’Etat, si nos dirigeants allaient nettoyer une centrale nucléaire (20 000 précaires assurent ce « service » aujourd’hui sur l’Hexagone), si l’enseignant faisait le ménage dans son école, si - comme disait Boris - tous étaient amiraux, il n’y aurait plus de batailles navales !
Il y a peut être encore trop de confort pour envisager le travail invisible. En effet, « un Français consommait dans les années 1970 autour de 30 000 kWh/ an d’énergie. Un être humain, avec sa seule énergie musculaire, ne peut au maximum produire que 150 kWh/ an. Tout se passe donc comme si notre Français (voiture, frigo, TV ...) disposait de 200 « esclaves » trimant pour lui ! » (voir page 3 du GéoHistoire de mars 2012)
On est bien content en tous cas que les Japonais aient pu arrêter pratiquement tous leurs réacteurs nucléaires (52 sur 54) pour enfin éprouver les joies de la BOUGIE !
Sam
Présentation de l’éditeur :
On peut très bien vivre dans des zones contaminées : c’est ce que nous assurent les partisans du nucléaire.
Pas tout à fait comme avant, certes. Mais quand même. La demi-vie. Une certaine fraction des élites dirigeantes - avec la complicité ou l’indifférence des autres - est en train d’imposer, de manière si évidente qu’elle en devient aveuglante, une entreprise de domestication comme on en a rarement vu depuis l’avènement de l’humanité.
L’auteur :
Michaël Ferrier vit à Tokyo où il enseigne la littérature. Il est l’auteur de plusieurs essais et romans, dont Tokyo - Petits portraits de l’aube (2004) et Sympathie pour le fantôme (2010), parus dans la collection « L’Infini ».
Extraits :
« De retour à Tokyo. [...] De nouveaux mots ont fait leur apparition, ils se répandent dans les airs et sont sur toutes les lèvres comme des molécules tueuses. Au menu, une orgie de particules, aux noms poétiques et grotesques à la fois : césium, trinitium, stontium ... Des produits de fission (iode, zirconium, molybdène), des produits gazeux (tritium, xénon, krypton), des isotopes variés et des émetteurs radiotoxiques. [...]
Mon préféré : le niobium 95. C’est un métal brillant gris et ductile qui prend une couleur bleutée lorsqu’il est exposé à l’air, m’apprend le dictionnaire. Le niobium 95 est utilisé en alliage avec le zirconium pour les enveloppes de barres de combustible utilisées dans les réacteurs nucléaires. Hautement toxique, évidemment. [...]
Encore plus drôle : on annonce que les trente-quatre-mille enfants de Fukushima vont tous être équipés de dosimètres à la rentrée, pour vérifier que, même si tout va bien comme ils disent, ils ne recevraient pas quelques doses de vitamine un peu excessives. Ceux de la préfecture de Chiba - un peu plus au sud, et qui touche celle de Tokyo - doivent porter des chapeaux, se laver les mains et faire des gargarismes régulièrement ! Et pendant ce temps, un peu partout dans le monde, de savants experts appointés discutent pour savoir s’il faut ou non sortir du nucléaire. [...]
Travaillez, braves gens ! Rentrez dans le rang. Laissez-nous faire, on s’occupe de tout. Et puis le soir, rentrez chez vous. Confinez-vous ! [...] Il ne faut pas croire qu’on ne nous dit rien pourtant. Bien au contraire : à la télévision, dans la presse écrite, sur les ondes et sur internet, on est abreuvés d’informations. C’est un flot de données aussi déferlantes que le tsunami : pour le commun des mortels, elles ne veulent évidemment rien dire mais même les spécialistes peinent à leur donner un sens. [...]
Microsieverts, millisieverts, becquerels, rads et rems, röntgens, on jongle avec les unités de mesure et on n’y comprend plus rien. Un jour, le taux d’iode radioactif dans la mer est 3355 fois la limite légale. Le lendemain, 4835 fois. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? [...] Comme l’écrit un titre délicieux du Nouvel Observateur : « La situation est préoccupante pour les poissons. » [...]
Mais le plus sûr moyen d’escamoter l’information n’est pas de la taire : c’est de la rendre publique en même temps qu’un millier d’autres ... »
(Cf. pages 189/ 191, 196/ 197, 201)
Éditions Gallimard, parution en mars 2012
ISBN : 978-2-07-013735-0
262 pages / 14,3cm x 20,8cm / 18,50€
Bibliographie sélective :
— ALEXIEVITCH Svetlana, La Supplication, J’ai Lu, 2000 ;
— Collectif, Le Japon - Des samouraïs à Fukushima, Hachette Pluriel, 2011 ;
— IACONA Estelle, TAINE Jean, TAMAIN Bernard, Les enjeux de l’énergie - Après Fukushima, Dunod, 2012 ;
— FILHOL Elisabeth, La Centrale, Folio Gallimard, 2011 ;
— PICKART Maurice Pickart, Fukushima un peu avant ... longtemps après, Éditions Persée, 2011 ;
— RIBAULT Nadine et Thierry, Les sanctuaires de l’abîme - Chronique du désastre de Fukushima, Encyclopédie des Nuisances, 2012 ;
Sur le grand ou petit écran :
— Nucléaire, la bombe humaine, documentaire d’Elsa Fayner, France 2012 : « Aujourd’hui, 80% des ouvriers de maintenance du nucléaire sont des travailleurs précaires. Ainsi Stéphane, depuis 6 ans dans le métier, intervient dans les zones les plus contaminées des centrales. Chaque jour, il consigne les doses radioactives qu’il reçoit dans un petit carnet. On l’écoute et l’on n’est pas rassuré. Ni pour lui, ni pour nous. »
— La Terre outragée, film de Michale Boganym, Ukraine 2011 : « Une des rares œuvres de fiction à se coltiner avec la catastrophe de Tchernobyl ... Anya, devenue veuve le jour même de son mariage, est maintenant guide au cœur du sinistre Disneyland nucléaire ... 26 ans après Tchernobyl, un an après Fukushima, ce film est un bouleversant hommage à ceux qui vivront à jamais l’horreur radiactive. »
Sur notre site :
— Tchernobyl (1986), explosion du réacteur n°4 de la centrale nucléaire ukrainienne ;
— GUERET Eric et NOUALHAT Laure, Déchets, le cauchemar du nucléaire (DVD) ;
— RIBAULT Nadine et Thierry, Les sanctuaires de l’abîme - Chronique du désastre de Fukushima ;