Les nombreuses vagues de luttes qui ébranlent l’Allemagne en janvier, puis fin 1918 et pendant la première moitié de l’année 1919, jettent des flots d’ouvriers hors des syndicats. Nombre de prolétaires sentent que les syndicats, depuis qu’ils ont, de concert avec l’Etat bourgeois, imposé la discipline dans les usines et l’Union Sacrée pendant la guerre [1], et qu’ils les retrouvent encore en travers de leur route pendant cette période révolutionnaire, ne défendent plus les intérêts ouvriers. En même temps, il n’y a plus la même ébullition qu’en novembre-décembre 1918 lorsque les ouvriers s’étaient unifiés dans les Conseils ouvriers.
Se créent alors des « organisations d’usines », qui doivent regrouper tous les ouvriers combatifs dans des « Unions ». Le rassemblement en unités régionales, cette géographie horizontale, est aussi un moyen de rompre avec le corporatisme syndical vertical (métier, branche).
Echaudés par la « trahison des chefs » et la faillite des anciennes structures (la II° Internationale, le SPD, la Centrale du KPD, les syndicats), ils pensent alors que les Unions doivent être le lieu exclusif du rassemblement des forces prolétariennes et que le parti doit se dissoudre en leur sein. C’est donc une période au cours de laquelle les idées du communisme de conseils ou anarcho-syndicalistes rencontrent un large écho.
On peut distinguer deux Unions principales , l’AAUD et l’AAUD-E.
En août 1919, des organisations d’entreprise de la Ruhr se réunissent à Essen pour fonder l’AAU. La Centrale du KPD donne son accord, pour la dernière fois. Puis, le 14 février 1920, se réunit le premier congrès de l’AAUD (Union Générale des Ouvriers d’Allemagne). Surtout implantée à Hambourg, Berlin et en Allemagne centrale, elle atteint 150 000 membres fin 1920. En novembre, la tendance du KAPD (qui vient d’exclure Rühle et ses partisans), en son sein, l’emporte. L’AAUD admet la nécessité du parti, comme organe séparé, pendant un certain temps, y compris après la révolution.
Le courant de Rühle se détache alors de l’AAUD. Et, en octobre 1921, la première conférence de l’AAUD-E (« E » pour « Unitaire ») se réunit. Cette organisation comporte alors 13 districts économiques. Elle rassemble plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers, mais se décomposera encore plus vite que les autres organisations de la gauche radicale.Rühle en reste le principal théoricien, l’organe étant la revue de Pfemfert, Die Aktion.
Bibliographie indicative :
— AUTHIER Denis et BARROT Jean, La Gauche communiste en Allemagne (1918-1921), Payot, 1976 ;
— CCI, La Gauche hollandaise, 1990 ;
— JUNG Franz, Le Scarabée-Torpille, Ludd, 1993 ;
[1] Dès le 2 août 1914, les syndicats ont déclaré arrêter toute grève. A Ludendorff, qui se plaint que l’on fasse la part belle aux syndicats, un sous-secrétaire d’Etat répondra par la suite : « Il ne fait pas de doute que l’on ne saurait gagner la guerre sans la bonne volonté des ouvriers d’industrie. Or, personne n’a - de loin - autant d’influence sur ces ouvriers que les dirigeants syndicaux. Sans ces dirigeants, ou a fortiori contre eux, rien à faire. Leur influence repose sur l’action qu’ils ont menée avec succès depuis des dizaines d’années en vue d’améliorer la situation des ouvriers (...) on ne peut concevoir comment nous pourrions tenir s’il en était autrement. » (in Badia, Histoire de l’Allemagne contemporaine, Ed° Sociales, tome I, p. 62)