La place centrale, la force du prolétariat et des organisations allemandes ont attiré les révolutionnaires du monde entier. Ainsi, la Gauche de la Social-démocratie allemande va être renforcée par des militants et des théoriciens de valeur (les polonais Luxemburg et Jogiches ; les hollandais Pannekoek et Gorter ; le russe Radek ...). Avec le développement de la lutte de classes (grève de masse de 1905), le conservatisme rampant puis la trahison de la SD et de la II° Internationale, cette Gauche va être contrainte de passer au crible de la critique les questions de :
— la conscience de classe ;
— la dynamique (ou le déclin) du capitalisme ;
— la grève de masse et l’organisation des ouvriers (Conseils, Unions ou syndicats ?) ...
Cette approche novatrice et extrêmement dynamique va, malheureusement, sous le poids des trahisons, des défaites successives et rapprochées (1914, 1919, 1921) nier le rôle majeur du Parti. Dans un cours contre-révolutionnaire, face au poids des bonzes de l’ancienne SD et du nouvel Etat russe, la Gauche germano-hollandaise va prôner, voire essayer de « nouvelles solutions anarchistes ».
Le Kommunistische Arbeiterpartei Deutschlands est directement issu de la scission voulue par la direction du KPD. Il compte près de 40 000 membres. Tout ces militants viennent de participer à la lutte contre le putsch de Kapp lorsqu’a lieu le congrès de fondation les 4 et 5 avril 1920.
Dans ce nouveau rassemblement hétérogène, qui regroupe pratiquement l’ensemble des ex-membres du KPD, cohabitent trois tendances contradictoires :
La majorité marxiste (Berlin, Brême), antisyndicale et antiparlementaire, dont les principaux représentants sont Karl Schröder, Alexander Schwab, Emil Sachs, Bernard Reichenbach, Jan Appel et Gorter ;
Le courant « conseilliste », voire « anti-parti », dont le porte-parole est Otto Rühle, veut concentrer toutes ses forces dans les Unions ;
Le courant « national-bolchevik », autour de Wolffheim et Laufenberg, est implanté à Hambourg.
Le KAPD va être rejoint par de nombreux jeunes ouvriers, des artistes, tous très enthousiastes mais marqués par une méfiance vis à vis de la centralisation. Beaucoup, échaudés par la « trahison des chefs » et la faillite des anciennes structures (la II° Internationale, le SPD, la Centrale du KPD, les syndicats), développent des visions fédéralistes voire individualistes. Par ailleurs, en 1920, le KAPD possède plusieurs groupes combattants clandestins, camouflés sous le paravent d’unions sportives.
Cependant, le KAPD va exclure de ses rangs Wolffheim et Laufenberg, condamner comme une « lourde faute » le refus de Merges et de Rühle de participer au 2° Congrès mondial, car il espère toujours se battre pour que triomphe le point de vue de la Gauche au sein de l’IC.
De plus, au niveau international se développe un courant communiste de gauche (Voir à ce sujet le chapitre 17, de La Gauche communiste en Allemagne, de BARROT Jean et AUTHIER Denis, Payot 1976).
Lorsque Franz Jung (1888-1963) et Jan Appel (1890-1985), délégués au congrès de l’IC, arrivent à Moscou, ils se voient remettre le pamphlet de Lénine, L’extrémisme de gauche, maladie infantile au sein du communisme. Ce dernier insiste sur les nécessités de l’heure : participer aux élections, entrer dans les syndicats en usant même « de tous les stratagèmes, de toutes les astuces, recourir aux expédients, taire, céler la vérité, à seule fin (...) d’y rester et d’y mener coûte que coûte l’action communiste. » (p. 44, Ed° de Pékin 1976) et chercher alliances et compromis. Mais il estime que le radicalisme de gauche est « mille fois moins dangereux et moins grave que l’erreur représentée par le doctrinarisme de droite ... » (p. 105).
En juillet, Gorter lui répond par sa Lettre ouverte au camarade Lénine (Cahiers Spartakus, 1979). Il pense que la fonction du parti, qui doit rester un « noyau aussi résistant que l’acier, aussi pur que le cristal » (p. 91), est de « toujours agir et parler de manière à réveiller et à faire fructifier la conscience de classe des ouvriers ». Il souligne également la différence entre l’expérience russe et celle de l’Allemagne, en particulier sur le rôle des élections, mais surtout sur les syndicats, devenus ouvertement contre-révolutionnaires.
En novembre 1920, une missive de l’Exécutif de l’IC vient mettre le KAPD en demeure de rejoindre le KPD. Une délégation (Gorter, Schröder et Rasch) part s’expliquer à Moscou. De retour à Berlin, Gorter écrit : « J’ai été stupéfait de voir que Lénine n’avait en tête que la Russie et considérait tout le reste exclusivement du point de vue russe. Il n’est pas ce qui me semblait naguère aller de soi : le leader de la révolution mondiale. Il est le Washington de la Russie. » (p. 32, Gorter)
Le 3° Congrès (juin 1921) met fin au dialogue de sourds, Zinoviev faisant savoir que l’Internationale ne tolèrerait plus l’existence de deux partis communistes dans un seul pays. Les interventions passionnées des délégués allemands (compte-rendu dans Ni parlement ni syndicats : les Conseils ouvriers !, pp. 211-276), les contacts pris avec des groupes « oppositionnels » (Opposition ouvrière russe, CNT, IWW ...) tournent surtout au baroud d’honneur.
Le Comité central du KAPD décide fin juillet de rompre avec l’IC et de constituer une KAI (Internationale ouvrière communiste). La proclamation de cette Internationale plonge Trotsky dans une franche hilarité : « Il y a tout lieu de croire que le KAPD, tel qu’il est représenté par ses chefs actuels, aventuriers et anarchistes, ne se soumettra pas à la décision de l’Internationale et, se trouvant ainsi en dehors d’elle, essaiera, probablement avec d’autres éléments « extrémistes de gauche », de former une IV° Internationale (...) Il y a encore des extrémistes de gauche en Hollande. Peut-être y en a-t-il encore dans d’autres pays. Je ne sais pas s’ils ont été tous pris en considération. Toujours est-il que leur nombre n’est pas extraordinaire et c’est le péril de devenir très nombreuse qui menace le moins la IV° Internationale, si par hasard elle était fondée. » (Trotsky, « Une école de stratégie communiste : le 3° congrès de l’IC », dans Nouvelle Etape, Librairie de l’Humanité 1922) Trotsky refera la même erreur en 1938, alors que les dernières braises de la vague révolutionnaire mondiale venaient d’être balayées en Espagne. Le KAPD avait au moins l’excuse du mouvement présent !
Le déclin accéléré de la révolution mondiale après 1921 va toucher de plein fouet le KAPD et la fondation de la KAI va déclencher une crise décisive. Il va payer chèrement sa tactique aventurière de mars 1921, sa rupture avec Moscou et son refus d’intervenir dans les luttes économiques. En mars 1922, il se coupe en deux tendances, celle d’Essen et celle de Berlin. Découragés, le gros des militants va rejoindre l’AAU-E de Rühle. D’autres partent pour le SPD ou le KPD.
Alors que les KAPD et les Unions se désagrégent inexorablement se forme (1927) en Hollande, un petit cercle, le GIC (Groupe des communistes internationaux). Autour de Henk Canne-Mejer et de Jan Appel, ce groupe va tourner la page du KAPD !
Bibliographie indicative :
— AUTHIER Denis, BARROT Jean, La Gauche communiste en Allemagne (1918-1921), Payot, 1976 ;
— AUTHIER Denis, DAUVE Gilles : Ni parlement ni syndicats : les Conseils ouvriers !, Les nuits rouges, 2003 ;
— BADIA Gilbert, Les Spartakistes, Julliard Archives 1966 ;
— BENOIST-MECHIN Jacques, Histoire de l’armée allemande (tome I), Albin Michel, 1964 ;
— BOCK Hans Manfred, Syndicalismus und Linskkommunismus von 1918-1923 (thèse), Meisenheim am Glan, 1969 ;
— BRICIANER Serge, Pannekoek et les Conseils ouvriers, EDI, 1969 ;
— BROUE Pierre, Révolution en Allemagne (1917-1923), Editions de Minuit, 1977 ;
— Courant Communiste International, La Gauche hollandaise, 1990 ;
— DUPEUX Louis, National Bolchevisme, stratégie communiste et dynamique conservatrice, Librairie Honoré Champion, 1979 ;
— GERBER John, Anton Pannekoek and the Socialism of Workers’ Self-emancipation (1873-1960), International Institute of Social History, Amsterdam, 1989 ;
— GORTER Herman, Lettre ouverte au camarade Lénine, Spartacus, 1979 ;
— JUNG Franz, Le Scarabée-Torpille, Ludd, 1993 ;
— LENINE, La maladie infantile du communisme, le gauchisme, Oeuvres ;
— MUSIGNY Jean-Paul, La Révolution mise à mort par ses célébrateurs même. Le mouvement des conseils en Allemagne, Nautilus, 2001 ;
— PRUHOMMEAUX André et Dori, Spartacus et la Commune de Berlin, Spartacus 1977 ;