Théoricien espagnol de l’anarcho-syndicalisme ; c’est lui qui a écrit les paroles du chant « A las barricadas ».
José Peirats cite les propos élogieux de Nettlau à propos de Valeriano : « ... il possède un sens historique et il comprend la « continuity of history ». Cela le préserve des exagérations qui ne débouchent que sur des sophismes. Car, finalement, la croyance en la toute puissance de la révolution qui prétend briser d’un coup tous les liens avec le passé et créer à partir du néant quelque chose de nouveau, n’est qu’une croyance messianique. Les jacobins et Napoléon croyaient réellement en une telle possibilité, mais les anarchistes devraient être les derniers à partager cette vision fantastique ... » (in Los anarquistas en la crisis politica española, 1962, page 203, repris des Cahiers du CTDEE p. 75)
Orobón Fernández, soulignant la menace fasciste, écrit encore dans La Tierra (1933) : « Pour vaincre l’ennemi qui accumule ses forces face au prolétariat, il est indispensable de constituer le bloc de granit des forces ouvrières. La faction qui tournera le dos à cette nécessité restera seule et portera une grave responsabilité devant elle-même et devant l’Histoire. Car plutôt qu’une défaite, qu’un isolement entraînerait inéluctablement, mieux vaut une victoire partielle [...] avec des conquêtes minima qui commencent par la destruction du capitalisme et la socialisation des moyens de production. » (José Peirats, T.I p. 83.)
A las barricadas, chant de la CNT pendant la Guerre civile espagnole :
Negras tormentas agitan los aires. Nubes oscuras nos impiden ver. Aunque nos espere el dolor y la muerte Contra el enemigo nos llama el deber. El bien más preciado es la libertad Hay que defenderla con fe y valor. Alza la bandera revolucionaria Que del triunfo sin cesar nos lleva en pos Alza la bandera revolucionaria Que del triunfo sin cesar nos lleva en pos En pie el pueblo obrero, a la batalla Hay que derrocar a la reacción. ¡ A las barricadas ! ¡ A las barricadas ! Por el triunfo de la Confederación. ¡ A las barricadas ! ¡ A las barricadas ! Por el triunfo de la Confederación.Des tempêtes noires agitent les airs Des nuages sombres nous empêchent de voir. Même si la mort et la douleur nous attendent Le devoir nous appelle contre l’ennemi. Le bien le plus précieux est la liberté. Il faut la défendre avec foi et courage. Lève le drapeau révolutionnaire Qui mène le peuple à l’émancipation Debout peuple ouvrier au combat Il faut vaincre la réaction : Aux barricades ! Aux barricades ! Pour le triomphe de la Confédération ! Aux barricades ! Aux barricades ! Pour le triomphe de la Confédération !
— José Luis GUTIÉRREZ MOLINA Valeriano Orobón Fernández : anarcosindicalismo y revolución en Europa (Ediciones CGT, 302 pages - 2002).
L’anarchisme espagnol eut ses grands hommes et ses martyrs, tous héros d’une geste grandiose et tragique, on le sait. La mémoire n’en a retenu que certains noms - ou certains plus que d’autres. C’est un tort, surtout quand elle ignore une figure aussi importante que celle de Valeriano Orobón Fernández (1901-1936), dont la mort prématurée priva sans doute le mouvement libertaire espagnol d’un de ses plus brillants analystes. En ce sens, la biographie intellectuelle que lui consacre l’historien José Luis Gutiérrez Molina [1] fait œuvre grandement utile.
Natif de Valladolid et fils d’un militant socialiste, c’est par la fréquentation d’une école largement inspirée des méthodes pédagogiques de Francisco Ferrer qu’Orobón Fernández s’éveillera aux idées libertaires. Son adhésion à la CNT date de 1920. Insoumis, il quitte le pays en 1923 pour chercher asile en France.
En ces temps, l’intellectuel libertaire est une denrée rare parmi les anarchistes espagnols. L’autodidacte y domine, un autodidacte à la conscience de classe aiguë, sûr de son combat et exceptionnellement disposé à le mener jusqu’à son terme. Dans cet univers, Orobón Fernández est sûrement, avec quelques autres, une exception. Chez lui, certains dons s’affirment très jeune : une disposition pour les langues et une évidente capacité conceptuelle et analytique. L’exil lui offrira la possibilité de les cultiver et de devenir une des principales figures intellectuelles de la CNT des années 1930.
En suivant les traces d’Orobón Fernández, à Paris d’abord - d’où il sera expulsé en juin 1925 après avoir milité au Groupe international d’éditions anarchistes, fondé le journal Tiempos nuevos et participé aux activités conspiratrices contre la dictature de Primo de Rivera -, puis à Berlin - où il connaîtra sa compagne, Hilde Taege -, à Vienne et à Londres, enfin, J. L. Gutiérrez Molina saisit la singularité de cet homme qui, loin de se complaire dans cet hispano-centrisme si caractéristique de l’anarcho-syndicalisme espagnol, se construit au contact des militants qu’il rencontre - principalement de Rudolf Rocker et de Max Nettlau -, collabore au secrétariat de l’AIT [2], s’intéresse de très près aux questions internationales et saisit parfaitement les soubresauts d’un monde qui court à sa perte. Ces années d’exil, Orobón Fernández les mettra à profit pour devenir traducteur, parfaire sa connaissance du mouvement ouvrier international et aiguiser ses analyses politiques. A son retour en Espagne, en 1931, il va donner, pendant cinq ans, toute la mesure de son talent et attirer vers la CNT quelques-unes de ses grandes plumes. On citera, pour mémoire, Cánovas Cervantes, García Pradas, Eduardo de Guzmán et Sender.
Au plan des idées, J. L. Gutiérrez Molina a raison d’insister sur cette troisième voie que prétendit incarner Orobón Fernández entre les deux approches - possibiliste et activiste - de l’anarchisme espagnol. Très tôt, il passa d’ailleurs pour un hétérodoxe, ou pour le moins pour un rénovateur, et s’attira, par exemple, les foudres d’Abad de Santillán pour avoir mis en cause l’usage immodéré d’une violence défensive et minoritaire par des anarchistes méprisant le travail d’élaboration théorique et prisonniers d’un messianisme hors d’âge. Pour lui, la révolution ne relevait pas de la magie, mais d’une parfaite connaissance des mécanismes d’exploitation et d’un esprit de révolte suffisamment conscient pour imaginer la société future et déjouer tout à la fois le double risque de l’aventure et de l’intégration. Exigeante, la démarche d’Orobón Fernández était sans doute en avance sur un mouvement tout à la fois sûr de lui et hésitant, dominateur et naïf. En avance encore - et probablement de très loin - sur ses élites, oscillant bien souvent entre un républicanisme radicalisé et un blanquisme conspirationniste. Sur bien des points, cette supériorité théorique d’Orobón Fernández est évidente - juste compréhension de la situation internationale et des perspectives historiques qu’elle ouvrait, évaluation critique et non idéologique du marxisme -, mais ce goût pour le concept ne l’entraîne jamais vers le retrait sur l’Aventin des idées. C’est toujours de l’intérieur de la CNT qu’il s’exprime et pour ses militants, dans sa presse, dans ses meetings, de conférences en polémiques publiques avec des dirigeants socialistes ou staliniens, dans les geôles de la République également, puisque celle-ci ne l’épargne pas, pas moins que d’autres en tout cas.
Intellectuel organique, Orobón Fernández le fut par excellence et c’est ainsi qu’il fut perçu et respecté tant par les « faistes » que par les « syndicalistes » de la CNT. En une période qu’Orobón Fernández qualifia lui-même, dès 1932, de transitoire entre le fascisme et la révolution sociale, ses analyses ne cessèrent d’être entendues et discutées à l’intérieur de la CNT, du moins par ses militants les plus conscients. Penser la révolution fut, d’ailleurs, une de ses tâches prioritaires. Son point de vue reposait sur une assez claire vision du rapport des forces au sein du mouvement ouvrier espagnol. Malgré sa puissance, la CNT seule n’avait pas, pensait-il, la capacité de mener à terme, avec quelque chance de succès, un processus révolutionnaire. L’histoire récente des tentatives insurrectionnelles - qu’il avait soutenues - avait débouché sur des impasses. Pour sortir du cercle de l’échec, la CNT devait par obligation créer les conditions d’un accord d’alliance révolutionnaire avec l’UGT reposant sur deux points essentiels : « la destruction du capitalisme et la socialisation des moyens de production ».
En soulevant publiquement la question de l’alliance, deux articles d’Orobón Fernández publiés en janvier 1934 dans l’important quotidien madrilèneLa Tierra auront un grand retentissement. Ils posaient les jalons d’un débat qui ne cessera de traverser l’existence agitée de la CNT jusqu’à juillet 1936. Minoritaire, son point de vue gagnera peu à peu du terrain, sera adopté par les insurgés d’Asturies en octobre 1934 et fera l’objet d’un accord majoritaire au congrès de Saragosse de la CNT de mai 36. Entre-temps, Orobón Fernández passera un an en prison et, atteint de tuberculose, n’en sortira que très diminué. Il mourut, le 28 juin 1936, à quelques jours de ce 19 juillet où des foules enthousiastes reprenaient en cœur, dans bien des villes d’Espagne, les paroles de A las barricadas qu’il avait composées, en 1933, en les adaptant à la musique de la Varsovienne.
En fin d’ouvrage et en sus d’une bibliographie détaillée, J. L. Gutiérrez Molina a eu l’excellente idée de reproduire une importante anthologie des textes d’Orobón Fernández, dont celui de La Tierra. D’autres, plus rares, sont proprement remarquables et disent le grand talent de ce trop méconnu théoricien de l’anarcho- syndicalisme espagnol. Malgré quelques défauts mineurs de construction - comme ce cloisonnement trop strict, d’après nous, entre la vie et l’œuvre d’Orobón Fernández et quelques répétitions -, nul doute que ce livre lui rend l’hommage qu’il méritait. (José Fergo, in « A contretemps » N° 9 septembre 2002 ; www.acontretemps.plusloin.org)
Bibliographie indicative :
— Les Cahiers du CTDEE (Centre toulousain de documentation sur l’exil espagnol) numéro 2 (octobre 2014) - 12, rue des Cheminots ; 31 500 Toulouse - exilespagnol.tlse@gmail.com ;
— ABAD DE SANTILLAN Diego & OLIVER Garcia Juan (Collectif) : D’une Espagne rouge et noire ;
Sur la toile :
— Vidéo YouTube : Congrès de l’AIT en 1931.
[1] Né en 1952. Après des études de lettres et de philosophie, il se spécialise en psychologie, puis fait un doctorat en histoire. José Luis Gutiérrez Molina est l’un des chercheurs les plus prolifiques de l’anarchisme et de l’histoire sociale contemporaine de l’Andalousie.
[2] « L’Association internationale des travailleurs est une organisation internationale de syndicats anarcho-syndicalistes. Elle reprend le nom de l’Association internationale des travailleurs, connue aussi sous le nom de Ire Internationale (1864-1872 ou 1877 ? Cf. Mathieu Léonard, L’émancipation des travailleurs, Une histoire de la Première Internationale, La Fabrique 2011.). L’Association est créée à Berlin, le 22 décembre 1922, par des partisans du syndicalisme révolutionnaire, de l’anarcho-syndicalisme et de l’anarchisme ouvrier (FORA) qui refusent le neutralisme syndical de la charte d’Amiens et l’allégeance des syndicats au partis politiques, soit-il communiste (Internationale syndicale rouge) ou social-démocrate (Fédération syndicale internationale). [...] Des organisations puissantes de plusieurs centaines de milliers de membres comme la FORA en Argentine, l’USI en Italie, la CGT Portugaise, les IWW Chiliens sont les principales organisations constituant l’AIT dans la première moitié du XXe siècle. La plus connue, la CNT espagnole ressemblait plus de 1 500 000 adhérents au plus fort de la guerre civile espagnol. L’AIT a également toujours eu la particularité de regrouper, outre des organisations de masses, des groupes de propagandes anarcho-syndicalistes (comme, dans les années 1930, la Fédération anarchiste polonaise, membre à part entière de l’AIT) ... » [source : fr.wikipedia.org/wiki Association_internationale_des_travailleurs_(anarcho-syndicaliste)