C’est un bolchevik méconnu, et, en réalité, un des piliers de la « gauche bolchevique », creuset à travers laquelle se forme la « Gauche communiste » russe. Il existe une continuité entre la « gauche » du parti bolchevik et Miasnikov
La révolution de 1905 marque son entrée en politique. Il fait partie de la nouvelle génération qui entre dans l’organisation de Moscou du parti bolchevik en 1906 après la révolution de 1905 et qui fera partie de « l’impressionnante génération de futurs cadres de parti [1] » comme Boukharine, Smirnov, Sokolnikov, Lomov, Iakovleva. Ils feront partie de l’organisation de Moscou. En 1907, à 18 ans comme Boukharine, il entre à l’université de Moscou où ils organisent avec les autres jeunes bolcheviks des cercles clandestins et des meetings dans lesquels ils développent leurs idées. La rencontre avec Boukharine est fondamentale, ils forment avec Smirnov un trio qui aura une importance particulière pour la suite de leur évolution politique [2]. L’amitié du trio se consolide autour du travail idéologique et une passion partagée pour la théorie marxiste, tous trois sont économistes de formation. Boukharine et Ossinski vont en prison en 1910 puis le trio se disperse quand Boukharine émigre en 1911.
Avant la révolution d’octobre, comme Boukharine, il semble que Bogdanov et la fraction « otzoviste » du parti, le marquèrent comme toute ce fut le cas pour toute la Gauche bolchevique même s’il n’y adhère pas.
Il faut faire une place à l’évolution théorique de Boukharine qui est le côté visible de l’évolution des jeunes bolcheviks moscovites et d’Ossinski. Boukharine est alors en Suisse, il publie le journal Zvezda (L’étoile) de 1914 au début de l’année 1915. Pendant cette période d’exil en occident de Boukharine, Ossinski mène une réflexion très proche. Les liens entre Boukharine et Lénine sont très agités et évoluent au gré des travaux théoriques du premier. Les attitudes au sein de ce qui a été appelé pendant un moment « la gauche » bolchevik, sont très fluctuants. C’est l’époque où Boukharine écrit sur l’impérialisme, son livre est préfacé par Lénine en décembre 1915. Un mois avant que Lénine n’écrive lui-même en 1916 sur la question avec L’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Puis, entre le 11 et le 17 avril 1916, intervient la rupture entre eux au sein de la rédaction de la revue Le Communiste (fondé au printemps 1915 entre Lénine, Zinoviev, Boukharine, Piatakov). Le désaccord essentiel porte sur la position face à la question du droit à l’auto-détermination des nations ; Boukharine et Piatakov se retrouvent alors proches de la position de Rosa Luxembourg et de la gauche de la social-démocratie européenne.
Pendant la révolution russe, quand Lénine appartient encore à l’aile gauche du parti, ses thèses d’avril font l’effet d’un coup de tonnerre dans le parti. La « gauche communiste » s’est regroupée en grande partie dans le bureau régional du parti à Moscou qui soutient totalement les positions de Lénine en avril 1917 qui accepte alors les thèses maximalistes de la gauche comme la destruction révolutionnaire de l’Etat bourgeois. Les cadres du parti comme Kamenev et Staline considèrent alors que la république « bourgeoise » qui succède au tsarisme est faite pour durer ; ils sont prêts à jouer le jeu d’une opposition légale au nouveau régime.
Dès le début de l’été, le bureau de Moscou regroupe Boukharine, Ossinski, Lomov, Smirnov, Iakovleva. Puis, Boukharine, Ossinski, Smirnov contrôlent le journal Le social-démocrate et la revue théorique Spartak ; ils disent former une « troïka de travail ».
Quand la décision de l’insurrection est prise, s’est à la gauche du parti qu’il revient de coordonner les opérations. Et Lénine trouve dans ce groupe des Moscovites un adjuvant de poids pour gagner les récalcitrants à l’insurrection du 25 octobre. Smirnov dirige les opérations militaires à Moscou qui suivent celles de Petrograd. Elles sont plus longues et plus sanglantes. La résistance dure jusqu’au 2 novembre.
Pendant les premiers mois du gouvernement des conseils, les tendances radicales prédominent dans le parti. Boukharine et l’aile gauche des « jeunes moscovites » occupent une position politique forte. Sur la question de la dissolution de l’Assemblée constituante, Lénine s’appuie sur eux contre la droite du parti. Boukharine est désigné pour élaborer la légisation sur les nationalisations. Ossinski qui dirige déjà avec Smirnov la nouvelle Banque d’Etat devient président du Conseil économique suprême qui définit les grandes lignes de la vie économique du pays.
Mais rapidement la fraction de gauche du parti se constitue de façon plus formelle d’abord sur la question de la Paix séparée avec l’Allemagne et les Empires centraux au moment de la conclusion des accords de paix de Brest-Litovsk puis des mesures de la période de transition et sur le capitalisme d’Etat.
Après sa rupture avec Boukharine et Radek, Ossinski participe au cours de l’année 1919 à la tendance « centraliste démocratique » avec Timotei Sapronov, Maksimovsky et Preobrajenski (Vladimir Smirnov est à l’étranger à cette époque) et elle se manifeste au 9ème congrès du parti en avril 1920. Elle est appelée ainsi parce qu’elle s’oppose au « centralisme bureaucratique » des instances dirigeantes du Parti communiste. En effet, les Centralistes démocratiques veulent rétablir l’application des clauses démocratiques, inscrites dans les statuts des Soviets et du Parti. A ce congrès, Chliapnikov défendait une troisième voie, la séparation des pouvoirs entre le parti, les conseils et les syndicats. Les Centralistes démocratiques ou « Décistes » ne sont devenus un véritable groupe d’Opposition qu’en 1921. Auparavant, ils ne possédaient pas de structure distincte, ni d’effectifs fixes, ni de journaux, ni de programme ou de politique à proposer à la place du programme officiel
Cette dernière tendance va jouer un rôle importante parmi les gauches du parti, à commencer par « l’Opposition ouvrière » en 1920. Au Xème congrès en 1921, ils estiment que l’on pouvait mettre un terme au malaise du parti en élaborant un compromis et en respectant mieux les principes de la démocratie interne. En mars pour le Congrès, ils retirent leur « plateforme ». Ils n’ont rien de commun avec l’Opposition ouvrière, en dépit d’une certaine identité de vues au sujet des méfaits de la centralisation au sein du Parti. Les Centralistes étaient des intellectuels et posaient les questions en termes politiques mais également ils étaient encore plus respectueux de l’unité du parti, les membres de l’Opposition étaient des ouvriers plus proches des préoccupations des ouvriers ; ils sont plus proches sur ces aspects des conceptions de Miasnikov. Ce dernier les critiquaient disant qu’ils faisaient parti de la nomenklatura et qu’au bout du compte ils s’entendraient avec le parti. La suite montra qu’il s’était trompé.
Ensuite Ossinski participe au groupe des 46 en 1923 (lettre envoyée au comité central du parti le 15 octobre 1923. Trotski n’en est pas signataire). La lettre des 46 s’élève contre le régime intérieur du parti. "Le régime qui a été mis en vigueur dans le parti est absolument intolérable. Il tue toute initiative dans le parti, le soumet à un appareil de fonctionnaires appointés qui fonctionne indéniablement en période normale, mais fait inévitablement long feu en période de crise et menace d’aller à une banqueroute totale en face des événements sérieux qui se préparent."
Quelques temps après, Osinski abandonne la « gauche » et le groupe Sapronov - Smirnov [3] qui va continuer le combat "avec la [nouvelle] plate-forme du Centralisme démocratique. C’est une plate-forme toute nouvelle d’un groupe par conséquent tout nouveau, sans autre lien avec le passé du "Centralisme démocratique" que la personne de Sapronov comme porte-parole." [4] Il s’agit de la plateforme connue sous le nom de Plateforme des 15 ou Groupe des 15 de 1926. Cette Plateforme ne doit pas être confondue avec celle de l’Opposition unifiée (de Trotski, Zinoviev, Kamenev, etc..) d’avril 1926 à laquelle le groupe centraliste démocratique participe également.
Après cette période, Osinski se retire du combat des oppositionnels. Il apparaît encore dans la vie politique en soutenant en 1928 les positions de la droite du Parti aux côtés de son vieil ami Boukharine et de Stetsky et Sokolnikov. Mais la droite perd la majorité au Politburo au cours de l’été 1928. Le Plénum de juillet est un moment crucial dans ce conflit.
Son fils Dina subit la répression et est arrêté en 1935 [5] Lui-même est exécuté en prison par Staline en 1938. Mais il n’a fait partie d’aucun des grands procès orchestrés par Staline contre les vieux bolcheviks qui se sont succédés à partir des années 1936. Il sera cependant appelé comme témoin au procès de Boukharine et Rykov en 1938.
[1] Expression de Stephen Cohen in Nicolas Boukharine, la vie d’un bolchevik, Maspéro.
[2] Autobiographie d’Ossinski, Deiateli, II, page 92, (en russe) cité par Stephen Cohen
[3] Ronald Kwalski, The bolshevik party in conflict
[4] Cité in L’Ouvrier communiste, organe des groupes ouvriers-communistes, N° 6-7, mars 1930. Informations communiquées par Miasnikov.
[5] cf. Anna Larina Boukharina, Boukharine ma passion, Gallimard, Partis, 1989.