Potressov, homme souple et liant, avait des amis un peu partout dans les milieux militants de la capitale et d’utiles relations avec les révolutionnaires émigrés. Il devint une des cheville ouvrière de la rédaction de la première Iskra. Son pseudonyme est Starover.
Un des leaders du menchévisme, après la répression de la première Révolution russe de 1905, dans les années de réaction (1907-1910), il fut aussi un des idéologues des « liquidateurs ».
Pendant la guerre mondiale, il devint social-chauvin. Lénine y fait allusion dans son livre L’Impérialisme : « J’étais hier dans l’East-End (quartier ouvrier de Londres), et j’ai assisté à une réunion de sans-travail. J’y ai entendu des discours forcenés. Ce n’était qu’un cri : Du pain ! Du pain ! Revivant toute la scène en rentrant chez moi, je me sentis encore plus convaincu qu’avant de l’importance de l’impérialisme ... L’idée qui me tient le plus à cœur, c’est la solution du problème social, à savoir : pour sauver les quarante millions d’habitants du Royaume Uni d’une guerre civile meurtrière, nous, les colonisateurs, devons conquérir des terres nouvelles afin d’y installer l’excédent de notre population, d’y trouver de nouveaux débouchés pour les produits de nos fabriques et de nos mines. L’Empire, ai-je toujours dit, est une question de ventre. Si vous voulez éviter la guerre civile, il vous faut devenir impérialistes. » Ainsi parlait, en 1895, Cecil Rhodes, millionnaire, roi de la finance, le principal fauteur de la guerre anglo-boer. Mais si sa défense de l’impérialisme est un peu grossière, cynique, elle ne se distingue pas, quant au fond, de la « théorie » de MM. Maslov, Südekum, Potressov, David, du fondateur du marxisme russe, etc., etc. [1] Cecil Rhodes était tout simplement un social-chauvin un peu plus honnête ... » (in Lénine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres choisies, Ed° du Progrès 1971, p. 718).
Et en septembre 1917 : « Karl Liebknecht a combattu sans merci, dans ses discours et dans ses lettres, non seulement les Plékhanov et les Potressov de chez lui (les Scheidemann, les Legien, les David et Cie) [...] Mieux vaut rester à deux, comme Liebknecht - car c’est rester avec le prolétariat révolutionnaire - qu’admettre même un instant l’idée d’une fusion avec le parti du Comité d’Organisation, avec Tchkhéidzé et Tsérétéli, qui tolèrent le bloc avec Potressov dans la Rabotchaïa Gazéta [2], qui votent pour l’emprunt [3] au Comité exécutif du Soviet des députés ouvriers, qui ont versé dans le « jusqu’auboutisme » ». (in Lénine, Les tâches du prolétariat dans notre révolution, Œuvres choisies, pp. 62 et 67).
Enfin, dans L’Etat et la Révolution : « Quand à nous, nous romprons avec ces renégats du socialisme et lutterons pour la destruction de toute la vieille machine d’Etat, afin que le prolétariat armé devienne lui-même le gouvernement [...] Kautsky restera dans l’agréable compagnie des Legien et des David, des Plékhanov, des Potressov, des Tsérétéli et des Tchernov, qui ne demandent pas mieux que de lutter pour un « déplacement du rapport des forces à l’intérieur du pouvoir d’Etat », pour « l’acquisition de la majorité au Parlement et la transformation de ce dernier en maître absolu du gouvernement », ... » (in Lénine, Œuvres choisies, p. 380).
A contrario, Potressov aura cette appréciation de Lénine : « Que ce soit dans le cadre du Parti social-démocrate ou hors de ses rangs, au sein du mouvement général dirigé contre l’autocratie, Lénine ne reconnaissait que deux catégories de personnes et de phénomènes : les siens, et les autres. Les siens, c’est-à-dire tout ce qui d’une façon ou d’une autre entrait dans le champ d’influence de son organisation ; en vertu de ce seul critère, il considérait les autres commes ses ennemis. Entre ces deux extrêmes diamétralement opoosés - camarade-ami et dissident-ennemi - il n’existait pour Lénine aucune nuance dans les relations sociales ou personnelles... » (cité par Richard Pipes, La révolution russe, p. 324).
Il rompt avec le POSDR en 1918, puis part en exil à Paris en 1922.
[1] MASLOV Piotr (1867-1946), menchévik russe, auteur de plusieurs travaux sur la question agraire dans lesquels il prétendait réviser les principes fondamentaux de l’économie politique marxiste. - SUDEKUM Albert (1871-1944), socialiste de droite allemand, ministre des Finances de la Prusse en 1918-1920. - DAVID Eduard (1863-1930), social-démocrate de droite, révisionniste et (très) social-chauvin. - RHODES Cecil (1853-1902), homme d’affaires britannique, Premier ministre du Cap en 1890.
[2] le Journal ouvrier : organe central des menchéviks, qui parut quotidiennement à Pétrograd de mars à novembre 1917.
[3] Il s’agit de "l’Emprunt de la liberté", émis par le gouvernement provisoire sur le financement des dépenses de guerre, et accepté par le Soviet le 22 avril 1917.