D’abord à droite (tenté par l’Action Française et son nationalisme « anti-bourgeois »), il se lie en classe de seconde avec le jeune Paul Vaillant-Couturier [1].
Il commence à fréquenter les milieux de la gauche socialiste, s’abonne à La Vie ouvrière, et en 1913 assiste aux réunions du groupe du 96, quai Jemmapes.
Affecté en 1914 comme auxiliaire-infirmier à l’hôpital Saint-Martin, il ne se priva pas de se livrer à une propagande pacifiste auprès des blessés. Il continue à participer aux réunions de La Vie ouvrière, où se retrouvaient les syndicalistes Merrheim, Monate, Rosmer. Il prit alors conscience des insuffisances du pacifisme : « J’ai été contre la guerre et la Défense nationale dès le 2 août, mais j’étais cela pour des raisons plus sentimentales que doctrinales, et un soir à La Vie ouvrière, j’ai discuté quelques instants avec un Slave au ton cassant et pétillant d’esprit qui, je crois, était Trotsky. Son marxisme implacable m’était alors resté hermétique. » (in Le Populaire, 15 juin 1920)
Affecté sur sa demande au front, il est ébranlé en mai 1916 par une commotion cérébrale et évacué à l’hôpital de Lyon. Réformé en 1917, il songe à des projets de nature à resserrer les liens entre victimes de la guerre, à exprimer la haine de la barbarie guerrière. Ainsi prirent naissance le journal Clarté et l’ARAC (Association républicaine des anciens combattants) avec Vaillant-Couturier, Barbusse [2] et un ouvrier, Georges Bruyère.
Raymond Lefebvre adhère en 1919 au Comité pour l’adhésion à la III° Internationale et publie une brochure de propagande, La Vie ouvrière, L’Internationale des Soviets. Il y opposait la doctrine « parlementaire » de la II° Internationale à celle de la III° qui seule était révolutionnaire, antiguerrière et antiparlementaire.
Il partit pour Moscou comme délégué du Comité pour assister au 2° Congrès de l’IC qui allait se tenir du 19 juillet au 7 août 1920. Il quitta clandestinement la France en compagnie du métallo Marcel Vergeat et de l’ouvrier terrassier Jules Lepetit, délégués de syndicats minoritaires de la Seine.
Lefebvre fit, à la tribune du Congrès, un portrait très critique de la CGT et du PS, mettant en garde contre l’admission dans l’IC sans épuration, ni rupture avec le réformisme et l’opportunisme. Le Congrès terminé, les "Trois" se rendirent en Ukraine en compagnie de l’interprète Sacha Toubine [3] et de Jacques Sadoul. En septembre, Victor Serge les accompagne durant huit jours.
Début octobre, les « Quatre » s’embarquent au bord de l’océan Arctique sur un bateau de pêche puis un canot automobile pour gagner Bergen. Le 20 décembre, le secrétariat de l’IC annonçait leur disparition à la suite d’une tempête. Dès que fut connu ce drame, des polémiques éclatèrent.
Pour Marcel Body, la cause est entendue : « Je m’en suis longtemps tenu à la version donnée par Zinoviev à Victor Serge. Certes, à l’époque, nos doutes n’allaient pas jusqu’à nous la faire rejeter, car aussi prévenus que nous l’étions des moyens expéditifs employés par Zinoviev et son équipe de tchekistes pour se débarrasser d’adversaires politiques irrécupérables, nous ne pouvions croire que la disparition de nos quatre compagnons ait été voulue. [...] Tout au plus pouvait-on reprocher aux autorités soviétiques d’avoir sciemment retardé leur retour en France, en les retenant, sous un prétexte ou un autre, dans la région désertique de Mourmansk. [...] Un détail surtout m’intriguait. Mourmansk avait été décrété zone interdite comme toutes les autres zones frontières [...] Par ailleurs, il n’y avait pas et ne pouvait y avoir de bateau de pêche appartenant à des particuliers. [...] De ce fait, la version officielle s’effondrait. Nos quatre compagnons n’avaient pu embarquer de leur propre autorité sur un bateau de pêche, ni entraîner avec eux deux pêcheurs soviétiques [...] Seul un bateau norvégien, équipé pour affronter l’océan Arctique, aurait pu les acheminer vers la côte norvégienne, mais pas un bateau soviétique. [...] Je me suis souvent demandé pourquoi Victor Serge ne parle pas des lettres de Lepetit et se montre si peu loquace dans ses « Mémoires d’un révolutionnaire » sur la responsabilité de Zinoviev dans la « disparition » de Raymond Lefebvre et de ses compagnons. Il a sans doute voulu le ménager, car il lui devait beaucoup : dans le Parti, à Smolny et partout ailleurs, Zinoviev l’avait toujours protégé. » (in Body, Au cœur de la Révolution, pages 167-168)
Victor Serge, comme Rosmer, s’opposa toujours à la version donnée par certains anarchistes (dont Voline, Body, le journal Le Libertaire) rendant les bolcheviks coupables : « J’ai très bien connu les circonstances de leur départ. J’ai été le compagnon de leurs derniers jours de Russie et je sais que leur perte ne fut due qu’à un accident facilité par leur propre impatience. » (Le Crapouillot, in Mémoires, page 947, note 102) L’ouverture des archives de Moscou n’a pas tranché pour l’instant cette question.
Œuvres :
— COLLECTIF, La Lueur dans l’abîme, ce que veut le Groupe Clarté, Paris, Éditions Clarté, 1921 ;
— LEFEBVRE Raymond, La Révolution ou la Mort, Paris, Éditions Clarté, 1920 ;
Sources :
— BODY Marcel, Au cœur de la Révolution. Mes années de Russie (1917-1927), Éditions de Paris/ Max Chaleil, 2003 ; cf. pp. 159-168 ;
— GOTOVITCH José (ouvrage collectif), Komintern : L’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste, Éditions de l’Atelier, 2001 cf. pp. 386-388 ;
— KRIEGEL Annie, Aux origines du communisme français (1914-1920) tome II, Mouton, 1964 ; cf. pp. 770-787 ;
— SERGE Victor, Mémoires d’un révolutionnaire et autres écrits politiques, Paris, R. Laffont Bouquins, cf. pp. 588, 592-593, 946 (note 85) ;
— TROTSKY Léon, Ma vie, Gallimard, 2004 ; cf. p. 294 ;
— VOLINE, La Révolution inconnue(1917-1921), Trinquier, 2007 ; cf. pp. 291-293 ;
Bibliographie indicative :
— GINSBURG S., Raymond Lefebvre et les origines du communisme français, Paris, Éditions Tête de Feuilles, 1975 ;
— RELINGER Jean, Henri Barbusse, écrivain combattant, Paris, PUF, 1994 ;
[1] Vaillant-Couturier Paul (1892-1937) : avocat et journaliste, co-fondateur de l’ARAC, membre du Comité central du PCF de 1925 à sa mort.
[2] Barbusse Henri (1873-1935) : écrivain, prix Goncourt avec Le Feu, journal d’une escouade, qui décrit l’enfer quotidien de la Première Guerre Mondiale. Directeur littéraire de l’Humanité (1928-1935), symbole et porte-parole de plusieurs organisations proches de l’IC, il publia la même année que Boris Souvarine, mais dans un tout autre esprit, un Staline !
[3] Toubine : Cf Marcel Body, « Un compagnon des « Trois », Sacha Toubine », in La Vérité ouvrière n°138 du 23 décembre 1921, pages 1-2.