Etudiant en droit, au POSDR à 18 ans, bolchevik dès 1903, Krestinski est plusieurs fois arrêté et condamné.
Il est membre de la fraction de la « Gauche communiste » en 1917-1918. Lors du vote concernant la « sale paix » de Brest-Litovsk, il donne lecture de la déclaration suivante, signée de lui, de Dzerjinski et de Ioffé : « Nous persistons à trouver inadmissible la signature de la paix avec l’Allemagne. Mais nous estimons que seul in parti bolchevik étroitement uni peut organiser la lutte après le rejet de l’ultimatum allemand. Si la scission dont nous menace Lénine se produit, nous serons forcés de mener une guerre révolutionnaire à la fois contre l’impérialisme allemand, contre la bourgeoisie russe et contre une partie du prolétariat conduite par Lénine. Ce serait faire courir à la Révolution russe des dangers encore plus grands que ceux qui l’attendent à la signature de la paix. C’est pourquoi, ne voulant pas contribuer à créer cette situation, mais ne pouvant pas voter pour la paix, nous nous sommes abstenus de prendre part au vote. » (in Walter, Lénine, p. 413).
Président du Ier congrès des Soviets de l’Oural, il est, entre 1919 et 1921, membre du Politbureau et de l’Orgbureau. La mort de Sverdlov en mars 1919 va en effet « obliger » le Parti bolchevique à revoir son fonctionnement et ses rapports avec les Soviets. En 1920, Krestinski est nommé secrétaire du Parti Communiste russe avec Serebriakov et Preobrajenski.
Sous leur secrétariat vont être créés des bureaux régionaux du Parti qui jouent le rôle de charnière entre secrétariat et organisations locales, et dont l’autorité ne va cesser de croître après le Xème Congrès. Le Xème Congrès, qui voit la révolte de Kronstadt, l’instauration de la NEP et l’interdiction des fractions dans le PCR, va impulser une réorganisation de l’appareil. Ainsi, on va assister au départ de Preobrajenski et de Krestinski, qui préconisaient une politique de liberté de critique et de compromis vis-à-vis de l’opposition intérieure. Le nouveau Comité central va refléter la montée de ceux qui allaient devenir des collaborateurs fidèles de Staline.
Il est alors éloigné comme ambassadeur à Berlin (octobre 1921). L’appareil se débarrasse ainsi de quelques gêneurs importants : Ioffé est envoyé en Chine, Rakovsky à Paris.
Victor Serge décrit Kretinski lors de l’enterrement de Vorovski, ambassadeur soviétique en Italie, tué par un émigré blanc-russe : « Ce fut, par un soir brumeux, à la gare de Silésie, l’arrivée du fourgon mortuaire ; une foule dense, venue avec des drapeaux rouges, entourait la station obscure. Un camion chargé de fleurs et hérissé de drapeaux servit de tribune à Radek. [...] L’ambassadeur Krestinski suivit le convoi à pied, protégé seulement par de jeunes communistes allemands. Krestinski était un homme extraordinairement intelligent, prudent et courageux. Il ne vivait que pour le parti de la révolution. Il était là dans une sorte d’exil, ayant été débarqué du secrétariat général en raison de ses velléités de démocratisation. Encore jeune, d’une myopie stupéfiante qui donnait à son regard fin caché sous des verres d’un demi-centimètre d’épaisseur une expression timide, le crâne haut et nu, un brin de barbiche noire, il faisait penser à un savant et il était en réalité un grand technicien du socialisme. Il s’opposait aux risques inutiles sans les craindre, prêt en plusieurs circonstances à défendre l’ambassade à coups de révolver, avec ses secrétaires et ses garçons de bureau. Ce soir-là, il refusa de prendre des précautions personnelles, disant qu’il était bon que l’ambassadeur de l’URSS à Berlin s’exposât quelque peu... » (in Victor Serge, Mémoires d’un révolutionnaire, p. 637).
Il est plutôt sympathisant que militant de l’Opposition de gauche en 1923. Lors d’une rencontre entre Rakovsky, Krestinski et Kamenev à Berlin afin de préparer le XIVème Congrès, Krestinski était, selon Broué, « adversaire de tout éclat, de toute publicité, partisan de travailler sans relâche à « reconquérir les masses et les influencer de nouveau ». Il était hostile à la tactique des manifestations publiques, de la rue, et y voyait le moyen de l’appareil pour isoler et détruire l’Opposition. » (in Pierre Broué, Rakovsky, p. 262).
Il finit par se désolidariser de l’Opposition en avril 1928 (critiqué dans la lettre du 6 août 1926 de Rakovsky à Valentinov).
Il est emprisonné en 1937 ; « jugé » au cours du 3ème procès de Moscou de Boukharine, Rykov et Rakovsky, il va faire preuve d’un grand courage : « Vychinski révèlera qu’il a résisté à neuf mois d’interrogatoire avant de céder. Il déclare que ses aveux, à l’instruction, sont faux. Il affirme : “ Je n’ai jamais été membre du bloc des droitiers et des trotskystes, dont j’ignorais l’existence. Je n’ai commis aucun des crimes dont je suis personnellement accusé ; en particulier je plaide non coupable à l’accusation d’avoir eu des liens avec le service de renseignements allemand” » (in Pierre Broué, Le parti Bolchevique, p. 381).
Il est exécuté en 1938 et réhabilité en 1963.
Sources :
— BOFFA Giuseppe, Les bolchéviks et la révolution d’octobre - procès verbaux du Comité central du parti bolchévique (août 1917-février 1918), Paris, Maspero, Bibliothèque Socialiste n°4, 1964 ; cf. pp. 248, 260, 278, 281, 285 [sur l’abstention face au danger de scission], 292 [sur l’importance de l’unité, déclaration du 23 février 1918], 294 et 301 ;
— BROUÉ Pierre, Le Parti bolchévique, Paris, Éditions de Minuit, 1977 ; cf. pp. 61, 130, 164, 193 et 379-381 [sur le troisième procès de Moscou] ;
— BROUÉ Pierre, Histoire de l’Internationale communiste, Paris, Fayard, 1997 ; cf. pp. 461 et 1030 ;
— BROUÉ Pierre, Rakovsky ou la Révolution dans tous les pays, Paris, Fayard, 1996 ; cf. pp. 261-262 ;
— MARIE Jean-Jacques, Trotsky, Paris, Payot, 2006 ; cf. pp. 235 [sur les trois plateformes lors de la « discussion syndicale »], 244, 506-508 [sur les aveux lors du 3° procès] ;
— SCHAPIRO Leonard, Les Bolchéviques et l’Opposition (1917-1922), Paris, Les nuits rouges, 2007 ; cf. pp. 132, 134, 138-139, 312, 318 [sur les 19 membres du Comité central élu en mars 1920, au IX° congrès], 320-324 [sur l’Orgbureau], 333-334, 341, 346, 349, 357, 386-391 [sur le nouveau Comité central issu du X° congrès], 458 (note 45), 492 (note 30), 495 (note 24), 509-511 [sur la composition des organismes centraux du PCR de 1917 à 1922 : Comité central, Secrétariat et Orgbureau] ;
— SERGE Victor, Mémoires d’un révolutionnaire et autres écrits politiques, Paris, Robert Laffont Bouquins, 2001 ; cf. pp. 489, 633, 637, 694, 779, 955 (note 13) et 974 (note 42) ;
— TROTSKY Léon, Histoire de la révolution russe [HRR], Paris, Seuil, 1995 ; cf. p. 350 du tome I et 456-457 [sur la « bolchévisation » des Soviets] du tome II ;
— WALTER Gérard, Lénine, Paris, Marabout, 1950 ; cf. pp. 408 et 413 [sur la « sale paix » de Brest-Litovsk] ;